Notice biographique

Madeleine Dines vers 1965 © ADINMadeleine par Rosie Ray © IMECMadeleine 1907 © Catalogue raisonne Maurice Denis
Madeleine Dines vers 1965 © ADIN

Madeleine Dines vers 1965 © ADIN

Madeleine par Rosie Ray © IMEC

Madeleine par Rosie Ray © IMEC

Madeleine 1907 © Catalogue raisonne Maurice Denis

Madeleine 1907 © Catalogue raisonne Maurice Denis

Madeleine Denis, épouse Jean Follain, Dinès de son nom de peintre (1906-1996).

     Madeleine Denis naît le 2 mai 1906 à Saint-Germain-en-Laye, quatrième fille du peintre Maurice Denis, le « Nabi aux belles icônes », et de son épouse Marthe Meurier. Comme ses frères et sœurs, elle apparaît souvent dans les tableaux de son père. L’un d’entre eux la montre déjà en train de dessiner (Portrait de Madeleine peignant, 1908). Si Maurice Denis initie tous ses enfants à l’art et au dessin, elle sera la seule à suivre une carrière de peintre. Très jeune, elle souffre de la distance que la maladie de sa mère impose à ses enfants. Marthe meurt l’année des treize ans de Madeleine, creusant en elle la douleur de l’absence. Après son baccalauréat en 1925, elle prépare à l’université une licence de lettres et de psychologie, et assiste notamment aux cours d’Henri Delacroix, philosophe et psychologue. Elle reste cependant toute sa vie très discrète sur ses études.

     Avant même d’entrer à l’université, dès le lycée, elle commence une formation artistique aux Ateliers d’art sacré, destinés à promouvoir le renouvellement de l’art religieux, que son père a fondés avec George Desvallières à qui elle voue une grande admiration. Elle poursuit son apprentissage à la Grande Chaumière et à l’Académie Ranson. En 1926, alors même qu’elle étudie la peinture dans les Ateliers d’art sacré, son journal intime inédit montre tous les signes d’une grave crise morale et religieuse : « Peut-être que pour faire œuvre belle il faut véritablement avoir une liberté complète de mœurs et d’idées qu’un catholique ne peut pas avoir. » (journal inédit, 1926, archives Jean Follain/IMEC). Madeleine remet en question la foi dans laquelle elle a été élevée, s’interroge sur sa vocation : elle désire ardemment être peintre, et ne veut pas se contenter du « dessin commercial » qui est souvent le destin des jeunes filles sans talent. Maurice Denis la dit en « perpétuelle révolte » (Journal, 1926), et, en effet, dès cette période, Madeleine se construit en réaction à l’œuvre de son père. L’inspiration religieuse est donc totalement absente de la production de Madeleine Dinès, à une exception près, bien plus tardive : la réalisation de deux fresques et d’un vitrail dans l’église de Saint-Denis-sur-Sarthon en 1945.

     Aux Ateliers d’art sacré elle fait des rencontres importantes : la figure de son maître George Desvallières tout d’abord, mais aussi celle de Pierre Couturier, élève de Maurice Denis qui, délaissant une carrière artistique, entre chez les Dominicains et reçoit le nom de Marie-Alain Couturier le jour de sa prise d’habit le 22 septembre 1925. Il jouera un rôle militant dans le développement de l’art sacré contemporain. Madeleine peint son portrait après son ordination en 1925, puis réalise, semble-t-il, des ornements pour sa première messe en 1930 (les archives contiennent des dessins préparatoires de chapes). Elle noue également des amitiés fidèles, en premier lieu avec le peintre Etienne Ret, qui fera carrière aux Etats-Unis, et avec le peintre belge Jacques Ernotte, lithographe et illustrateur de nombreux écrivains. Grâce à des amis communs, elle fait la connaissance de l’artiste d’origine espagnole Maria Blanchard, dont elle fréquente l’atelier, et qu’elle peindra sur son lit de mort en 1932.
Madeleine se marie en 1934 avec Jean Follain, rencontré deux ou trois ans plus tôt à une soirée théâtrale du groupe Proscenium dirigé par Jean Dorcy. Follain est un jeune avocat d’origine normande, qui commence à se faire un nom comme poète et fréquente le groupe Sagesse de Fernand Marc. À la parution de son recueil La Main chaude en 1933, André Salmon salue l’invention d’un « nouveau réalisme », aux antipodes des mirages surréalistes. Le poète développe une œuvre d’une singulière densité dans de petits poèmes en vers libre, dans lesquels l’inspiration quotidienne laisse poindre un profond humanisme. Les deux époux, dès le début de leur union, adoptent d’un commun accord un mode de vie original, vivant la plupart du temps en totale indépendance. Follain a besoin de calme pour écrire, et Madeleine de son propre espace pour peindre : elle restera dans son atelier de la rue Campagne Première de 1934 à 1946. Madeleine et Jean mènent une vie de bohème un peu désargentée, fréquentant les bistroquets et restaurants populaires parisiens dont ils sont friands. En 1954, ils s’installent ensemble dans un grand appartement situé sous les toits place des Vosges où Madeleine peut avoir son atelier.

     Follain ouvre Madeleine à l’amitié des poètes et des écrivains (Pierre Albert-Birot, André Salmon, Max Jacob, Georges Duveau, Jean Paulhan, Eugène Guillevic…) tandis qu’elle l’introduit dans le milieu artistique et intellectuel fécond de sa famille (Follain réalise ainsi un livre d’artiste avec le peintre-verrier suisse Marcel Poncet, beau-frère de Madeleine ; et Pierre Guéguen, ami de Maurice Denis, rédige une critique élogieuse du premier recueil du poète en 1933). Armen Lubin, écrivain et poète d’origine arménienne, devient à partir de 1935 un grand ami du couple, très proche de Madeleine qui le soutient avec une fidélité indéfectible dans toutes ses épreuves, physiques et morales (atteint du « mal de Pott », il passe son existence dans les hôpitaux et les sanatoriums), pendant la guerre et jusqu’à sa disparition en 1974. Elle devient également proche du peintre Alfred Gaspart et de sa sœur Paule, modiste, amis intimes de son mari.  D’une façon générale, Jean et Madeleine Follain fréquentent le monde littéraire et artistique parisien (Jean Paulhan, Marcel Arland, Lise Deharme, André Dhôtel, René de Obaldia, André Frénaud, Henri Thomas, Eugène Ionesco… ), sans oublier les liens que Madeleine noue de son côté à l’étranger (avec l’américain Leon Philipps, l’artiste anglaise Sydney Sheppard…).

     En 1932 et 1935, elle expose au Salon d’Automne, et adopte « Dinès » comme nom d’artiste pour sa première exposition personnelle dans la galerie parisienne La Fenêtre ouverte en 1937. Ce coup d’essai rencontre un certain succès : Madeleine reçoit un bon accueil de la critique et vend plusieurs toiles, y compris à l’État. André Salmon loue sa « subtilité d’observation » derrière l’apparente « humilité des thèmes », et compare ses toiles à des « chants terrestres », titre d’une plaquette de Follain. Il ne peut s’empêcher de remarquer que Madeleine doit encore, pour se faire reconnaître, s’émanciper d’une ascendance écrasante : « La gloire rayonnante du père, la gloire naissante de l’époux ont rendu Madeleine modeste à l’excès. Elle a été jusqu’à croire qu’il lui fallait n’adopter que l’envers d’un beau nom, ainsi Denis devint Dinès. » (Aux Écoutes, 27 novembre 1937). Aux antipodes des scènes sacrées de son père, Madeleine, adepte d’une peinture réaliste, fait une place importante à l’objet, au personnage anonyme, au décor vide, au motif de la fenêtre ouverte. Mais rien n’y est anecdotique, et sa facture délibérément traditionnelle échappe à la banalité en rendant infiniment sensible la vie secrète de chaque objet. On ne peut savoir dans quelle mesure Jean Follain a encouragé la peintre dans cette voie qui réhabilite le quotidien au détriment de l’imagination pure, mais une certaine parenté de leurs travaux, un goût commun pour l’objet, dans son épaisseur et son mystère, se laissent dès lors entrevoir.

     La même année, elle s’essaie aux arts décoratifs pour l’Exposition Internationale des Arts et techniques dans la vie moderne (sans doute tente-t-elle le concours organisé par la Société des artistes décorateurs ; ses archives offrent des dessins préparatoires pour des tissus ou tapisseries, dans le style des années trente, mais on ne sait pas si son projet a été retenu). En 1937, elle participe au Salon des Femmes Artistes Modernes, fondé et présidé par Marie-Anne Camax-Zoegger, peintre très appréciée par Maurice Denis. Elle alterne ensuite, de façon assez espacée, les expositions individuelles et collectives, en France et à l’étranger.

     Madeleine présente une deuxième exposition personnelle en 1943, à la Galerie du Dragon. Le carton d’invitation est rédigé par l’écrivain Léon-Paul Fargue, ami de Jean Follain. Maurice Denis commente le vernissage à sa fille Anne-Marie dans les termes suivants : « L’exposition de Malon s’est ouverte hier dans un charmant petit salon de la rue du Dragon au-dessus d’un magasin d’antiquaire, très agréable de lumière, et s’accordant bien avec la peinture de Malon, qui est vraiment très délicate et d’une poésie naïve, à la fois dans le goût de Jammes et de Follain. » (lettre inédite, 8 avril 1943). Quelques mois plus tard, Maurice Denis meurt dans un accident de la circulation, renversé par un camion. Madeleine relate les tourments de la fin de la guerre dans son journal intime (« Journal de la Libération », encore inédit / IMEC). Après 1945, elle traverse de loin en loin des crises de découragement voire de dépression, en alternance avec des périodes plus fastes (en 1951, elle écrit à Armen Lubin qu’elle travaille avec bonheur et qu’elle expose à la Galerie de Paris). Elle aime également à peindre en compagnie d’amis, comme Ména Loopuyt, épouse du Suisse Géa Augsbourg, camarade de Follain depuis 1932, ou encore Edgar Mélik, chez qui elle fait plusieurs séjours dans le Sud. Fuyant toute sentimentalité et souvent prompte à la colère, Madeleine attache néanmoins un grand prix à l’amitié et vit constamment entourée.

     Creusant la voie réaliste, elle s’essaie à presque tous les genres : la nature morte, le bouquet – peints en général sur le motif et en résonance avec des objets familiers – le paysage de campagne, l’intérieur, l’autoportrait, la saynète, le nu… On peut reconnaître des proches et des personnalités de l’art et des lettres dans les nombreux portraits réalisés par elle, qui révèlent particulièrement sa sensibilité et son sens de l’observation (Étienne Ret, Maria Blanchard, Jean Follain, Jacques Audiberti, Alain Cuny, Armen Lubin, André Dhôtel, André Rosch…). De rares paysages témoignent d’une brève veine surréaliste, qui évoque Paul Delvaux (arbres anthropomorphes, personnages nus dans la nature, tombes incongrues). Dans les années soixante, des coloris puissants et une structure très solide rapprochent certaines toiles du courant « pop ». On peut noter enfin que Madeleine, surtout en voyage, s’exerce au crayon de couleur.

     Parallèlement à sa carrière artistique, Madeleine Dinès exerce plusieurs métiers tout au long de son existence, parfois en même temps : dans les années trente, elle est institutrice à domicile, dépendant de l’Institut Catholique de Paris, et donne des cours de français et de latin ; au début de la Seconde Guerre mondiale, elle est accueillie par une amie qui dirige un collège à Pornichet et y enseigne quelques mois ; puis elle est recrutée par le Ministère de la guerre comme « psychotechnicienne » dans une usine, fonction qu’elle occupe par la suite au Ministère de la production industrielle et au Ministère de la Justice jusque dans les années cinquante. Elle assure de 1946 à 1976 une responsabilité suivie dans l’Institut médico-pédagogique créé et dirigé par sa sœur Bernadette à Saint-Germain-en-Laye. Très tôt également, s’étant initiée à l’anglais grâce à ses amies américaines peintres, Marthe Simpson Eastlake et Maud Sumner, rencontrées pendant ses études, elle traduit des textes de et en langue anglaise pour des éditeurs et des revues (Charles Simic, Jack London, Jean Follain…).

     Avec elle se dessine la figure d’une femme moderne, indépendante et forte tête. Féministe de la première heure, elle est très consciente de la nécessité d’une indépendance financière de la femme. Son mari et elle ont des revenus et des comptes séparés, ce qui est rare pour l’époque. Elle acquiert seule une maison en 1962, à Vernon, pour y installer un atelier et peindre sur le motif. Elle effectue également de nombreux voyage à l’étranger, le plus souvent sans son mari et avec des amis (Suisse, Angleterre, Italie, Espagne, États-Unis), voyages qui sont également parfois prétextes à des expositions (Maroc, Turquie par exemple).

     En 1957, elle ouvre rue Saint-Séverin un restaurant qu’elle appelle Papille. Son mari, qui est devenu magistrat, est d’abord scandalisé par ce qu’il estime être un déclassement, mais finit par être séduit par l’ambiance de cet établissement mi-rustique, mi-bohème, qui draine non seulement des écrivains et des intellectuels, mais également une clientèle venue du show-biz et de la télévision. Follain y invite ses amis poètes, tandis que Madeleine organise de temps à autre de petits accrochages, mêlant ses toiles à celle de ses amis artistes. Il faut dire que le couple partage une passion commune pour la cuisine traditionnelle et la gastronomie. Elle noue également des amitiés nouvelles, comme avec le poète américain Roger Horwitz, venu en France au cours de ses études de littérature comparée, et vivant de petits métiers d’appoint, travaillant chez Papille, ou comme professeur d’anglais, ou encore ponctuellement chez Gallimard. Sa figure d’artiste touche-à-tout et affranchie des conventions suscite l’admiration du compagnon de Roger, l’écrivain Paul Monette, militant homosexuel avec lequel elle entretient par la suite une correspondance. En 1961, elle voyage avec eux en Amérique (Boston,  Nouvelle-Orléans, Washington, Albuquerque).

     Il semble que Madeleine délaisse un peu la peinture à partir de l’achat de son restaurant. Elle montre certaines toiles dans des expositions collectives de Papille (par exemple en 1962, à l’occasion d’une « Exposition de printemps ») ; elle est ensuite reçue au Salon d’Art Contemporain d’Ankara en Turquie en 1965 (« Madeleine Dinès Follain – Peintures et dessins »). En 1971, elle illustre de dix-sept pointes sèches le Poème pour glorifier le pied de l’écrivain d’origine roumaine Ilarie Voronca, disparu en 1946 (éditions La Goutte d’or) ; ce sera son seul livre d’artiste. Sa dernière exposition personnelle se tient en 1983 à la Galerie Brigitte Schéhadé, à la fois rétrospective et hommage. Jeanine Warnod revient dans un article sur cette fausse simplicité qui est la marque de Madeleine depuis les années trente : « la banalité des objets, les paysages insignifiants, les figures anonymes créent un climat ambigu. Ces petites toiles cachent une vie secrète. L’apparence est naïve, frôle le misérabilisme, ce qui semble du réalisme n’est qu’imaginaire et voilà comment Madeleine Follain-Dinès [...] parvient à nous troubler, à la dérobade. » Patrick Waldberg lui aussi, qui signe le texte du carton d’invitation, souligne son « insidieuse séduction » : « le dire de Madeleine Follain-Dinès cache un non-dire, une réalité interne si intensément ressentie qu’elle transparaît à travers ses plus humbles travestissements, et c’est là sans doute le secret de son charme opératoire. »

     Après la disparition accidentelle de Jean Follain en 1971 (renversé par une voiture, comme son beau-père), Madeleine abandonne définitivement la peinture et se consacre essentiellement à la promotion de l’œuvre de son mari. Elle publie un grand nombre de proses et poèmes inédits (Collège, 1973 ; Comme jamais, 1976 ; Les Uns et les autres, 1981…) et organise ou co-organise expositions, rencontres, colloques. Si les deux artistes n’ont jamais collaboré de leur vivant, et si Madeleine, sans doute, est restée dans l’ombre de son époux, reconnu et célébré comme poète, il n’en demeure pas moins qu’elle s’approprie son travail qu’elle aime et admire, et contribue à maintenir très vivante sa mémoire dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. C’est ainsi que Paul Auster, de passage à Paris pour rédiger une anthologie de la poésie française, la décrit dans L’Invention de la solitude, « impressionné par sa rudesse très parisienne, sa voix rocailleuse et son dévouement à l’œuvre de son mari » (Actes Sud/Labor L’aire, 1988).

     Madeleine Dinès s’éteint en 1996, dans l’appartement de la Place des Vosges qu’elle occupe depuis 1954, d’abord avec Follain, puis seule à partir de 1971, entourée de livres et de tableaux. Environ trois cents toiles et un millier de dessins sont retrouvés dans son atelier après son décès. Ses archives sont déposées dans le fonds Jean Follain à l’IMEC (Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine). Ses tableaux et dessins ont fait ou font actuellement l’objet de différents dons à des musées et institutions : l’IMEC à Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, le musée des Années Trente à Boulogne, le musée Delacroix à Paris, le musée de Cabriès, le musée Bonnard au Cannet, le musée d’Art et d’Histoire de Saint-Lô.

E. B.